Une enquête de Reporters Sans Frontières* dénonçant un « grand contournement », un épisode de Complément d’Enquête sur la « méthode CNEWS », l’ARCOM qui tombe des nues… Ou comment la chaîne réactionnaire CNEWS, cheval de bataille de Vincent Bolloré, se retrouve de nouveau au centre d’une polémique concernant ses pratiques journalistiques.
CNEWS, la télé made in Bolloré
Depuis plusieurs mois, CNEWS est devenue la première chaîne télévisée d'information en continu en France. Enfin d’information… Un logo rouge et noir et des bandeaux pour le moins tapageurs, vous connaissez probablement ses émissions, plus proches du média d’opinion que de l’honnêteté journalistique. Selon l’étude de Médiamétrie publiée le 1er décembre 2025, elle est cependant en tête des audiences parmi les chaînes d’information en continu, et en cinquième position plus globalement parmi les chaînes de la TNT. Elle a progressé de plus de 0,5 point d’audience en un an : c’est la plus grande augmentation parmi les chaînes d’information sur cette période.
Adepte de la polémique pour faire parler d’elle, CNEWS s’est fait sa place sur le haut du podium avec une recette toute trouvée. Elle défend une ligne éditoriale que l’on pourrait qualifier d’extrême droite en privilégiant à l’antenne les diatribes anti-immigration, sécuritaires, anti-wokes et anti-LFI, tout en défendant des positions pro-russes. Parmi leurs animateur·rices phares, on comptait, avant sa candidature à la présidentielle en 2022, Eric Zemmour, figure de l'extrême-droite française condamnée à plusieurs reprises pour des propos racistes, et bien sûr Pascal Praud, qui ne cache plus depuis longtemps ses préférences politiques.
La chaîne CNEWS telle qu’on la connaît aujourd’hui est apparue en 2017. Elle a fait suite à I-Télé, chaîne d’information en continu rachetée par Vincent Bolloré via Canal+ en 2016 et vidée en seulement quelques mois de toute sa substance - de ses journalistes et de leur indépendance. Le milliardaire et magnat des médias est alors au début de la construction de son empire médiatique, mais son nom évoque déjà l’interventionnisme dont il est adepte. À son entrée au capital, il affirme qu’il ne veut pas faire de la chaîne un média d’opinion et qu’il compte sur l’impartialité des équipes de journalistes. Une belle promesse sans aucune garantie qui mènera à un grand mouvement de grève, un an après le rachat. Les trois quarts de la rédaction quittent le média, faute de réelles garanties d’indépendance et mal à l’aise avec le sentiment de devenir des communicant·es au service de Vincent Bolloré. C’est la naissance d’un média profondément réactionnaire, qui, il faut bien reconnaître, sait faire parler de lui.
Au coeur de la nouvelle polémique, un manque de pluralisme
Pointée du doigt pour son manque de déontologie et son non-respect des règles de l’ARCOM (le gendarme de l’audiovisuel), la chaîne CNEWS est régulièrement le sujet d’enquêtes et de décryptages de la part de ses confrères. C’était le cas le 27 novembre dernier avec un nouvel épisode de l’émission Complément d’Enquête, animé par Tristan Waleckx et intitulé « Des infos ou désinfo ? La méthode CNews ». Un documentaire accablant pour le média qui démontre avec précision les différents écueils déontologiques entourant la chaîne : la mainmise de Vincent Bolloré sur la ligne éditoriale, la création volontaire de polémiques pour faire de l’audience, la mise en avant d’Eric Zemmour pendant la présidentielle de 2022 et surtout, une stratégie de détournement des règles du pluralisme de l’information. C’est ce dernier point qui a fait débat récemment.
L’épisode de Complément d’Enquête se base sur une enquête publiée par l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF), « Pluralisme en France : sur CNEWS, le grand contournement ». Il s’agit d’une analyse des programmes et émissions des chaînes d’information en continu en y appliquant les nouveaux critères de mesure du pluralisme à l’antenne imposés par l’ARCOM. Le pluralisme en France est un principe constitutionnel : il faut que chaque organe d’information assure l’expression de tous les courants de pensée et d’opinion et la tenue d’un débat équilibré. Si la presse papier peut “faire de l’opinion”, ce n’est pas le cas pour les médias audiovisuels qui se sont vus attribuer une fréquence hertzienne par l’ARCOM, cela vient avec des critères à respecter. Pour ce faire, l’ARCOM a implanté de nouvelles règles : l’obligation de produire un traitement équitable des forces politiques ainsi que l’obligation de garantir la diversité des intervenant·es, des sujets et de la façon dont ils sont présentés à l’antenne. L’enquête de RSF a révélé un non-respect de ces principes par CNEWS : si chaque chaîne d’information présente parfois un léger déséquilibre, CNEWS est la seule qui s’éloigne de manière « flagrante et systématique » du cadre imposé.
Que dit concrètement le rapport ?
Il convient tout d'abord d’expliciter la méthode employée par RSF, pour en apprécier la pertinence. Les données collectées se basent sur les bandeaux d’information, qui mettent en avant, en général, le sujet dont discutent les intervenant·es sur le plateau. Un logiciel a réalisé toutes les dix secondes des captures d’écran de ces bandeaux sur quatre chaînes d’information en continu : BFMTV, CNEWS, France Info et LCI, durant le mois de mars 2025. Cela représente plus d’un million de captures d’écrans et 700 000 bandeaux analysés.
Un résultat interpelle lorsqu’on se penche sur les données de CNEWS : si la répartition de l’offre politique semble tout à fait équilibrée, la gauche serait mieux représentée que l’extrême droite. Étonnant quand on se rappelle quelques éléments de contexte mentionnés au début de l’article. Finalement, les équipes de RSF découvrent une entourloupe d’horaires. Sur les heures de grande écoute (7-10H et 18-21H), seule l’extrême droite est mise en avant. Pendant que les téléspectateur·rices dorment ou travaillent, la gauche est à son tour diffusée. Un exemple pour comprendre ce stratagème :
« Le 27 mars, à 23 h, la stratégie de contournement devient tellement caricaturale que le présentateur Gauthier Le Bret ne peut retenir un sourire en lançant à la fin de son émission “un rendez-vous avec François Hollande.” S'ensuit un discours tenu par l’ancien chef de l’État deux jours plus tôt, retransmis pendant 1 h 20 sans interruption. Faute d’une prise de son adéquate, le député de Corrèze y est à peine audible… »
Ce discours sera re-diffusé trois jours plus tard à 5h30 du matin, le dimanche 30 mars. Les rattrapages nocturnes représentent ainsi 39% du temps de parole total attribué à la gauche sur CNEWS.
De plus, la diversité des sujets et des intervenant·es est tout autant bafouée. Les débats sur l’islamisme, les questions identitaires et l’immigration sont sept fois plus présents que sur les autres chaînes d’information. Les intervenant·es sur le plateau partagent en général la même opinion et les présentateur·rices, dont le rôle est de recadrer le débat et donner des faits, ont une fâcheuse tendance à donner leur avis. Pascal Praud donnerait ainsi son opinion personnelle pendant plus de 60% de ses interventions.
L’ARCOM en désaccord, RSF campe sur ses positions
Le rapport pourrait ainsi sembler accablant, les preuves crédibles… mais pas aux yeux de l’ARCOM. L’organisme a démenti, dès le lendemain de la parution, les chiffres présentés dans l’enquête, dans un article paru dans Le Point. Il affirme que les calculs réalisés en interne ne donnent pas les mêmes résultats et qu’il n’y a eu aucun contournement des règles par CNEWS. Il rappelle que si ça avait été le cas, l’ARCOM aurait pris les mesures nécessaires à la régulation. L’organisme conteste également la méthodologie utilisée par RSF, c'est-à-dire l’analyse des bandeaux, affirmant qu’ils ne peuvent témoigner en rien du temps de parole distribué.
Sans attendre, RSF a répondu à ces critiques dans un communiqué maintenant l’intégralité des données et analyses partagées dans son enquête. Ils reprochent à leur tour à l’ARCOM de ne pas fournir les fameux calculs en appui de sa démonstration et dénoncent un manque de moyens de contrôle effectif, en dehors des déclarations des chaînes. L’ARCOM a imposé une fin de non-recevoir à tous les autres médias ayant essayé de démêler le vrai du faux.
Affaire à suivre pour savoir si CNEWS fera l’objet d’une nouvelle enquête et, potentiellement, de sanctions ou si l’ARCOM restera sur ses positions…
* Une enquête RSF signée Arnaud Froger et Antoine Schirer.




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